Le 19 juillet 1919, naît à Genève Robert Pinget, premier des quatre enfants de Blanche Montant et d’Emile Pinget, assureur, dans un immeuble que se partagent trois familles de cousins totalisant dix sept enfants. Depuis l’enfance, il dessine, peint et griffonne. A onze ans, il apprend le violoncelle. L’été, il passe ses vacances alternativement en Suisse et en France, au bord du lac Léman et dans les Alpes du Faucigny qui lui fourniront le pseudonyme Chalune sous lequel il publie son premier ouvrage, un recueil de poèmes intitulé A Sainte Nitouche. Après la guerre, s’ajoute un autre lieu de vacances, Agay, sur la côte méditerranéenne, dont Pinget se souviendra pour le toponyme d’Agapa.

Au Collège Calvin de Genève, il termine ses études secondaires en section classique (latin, grec, allemand). Une fois passée sa maturité (équivalent suisse du baccalauréat français), il fait son droit. Pendant la guerre il passe son brevet d’avocat et est mobilisé sur la frontière. De cette époque datent des poèmes d’inspiration religieuse imprégnés de symbolisme mallarméen, publiés dans des revues suisses, entre 1939 et 1947.
Il quitte Genève en 1946 et s’installe à Paris où il loue une chambre rue de Rennes. Il est admis à l’Ecole des beaux-arts en section peinture dans l’atelier de Jean Souverbie, influencé par Braque, et expose en 1949 et 1950. Jusqu’à la fin de sa vie, il résidera tantôt au 4 rue de l’Université, à St Germain des Prés, tantôt dans une ferme de Touraine, à La Roche Luzillé, à partir de l’automne 1964.
Après la publication d’un recueil de courtes nouvelles intitulé Entre Fantoine et Agapa, paru à La Tour de Feu en 1951, il se concentre sur son travail d’écriture, qu’il aborde fort de son expérience de musicien amateur, d’artiste peintre mais d’abord et surtout, de poète. Il propose Mahu ou le matériau, sorte de ludique manifeste littéraire écrit en 1950 où se rassemblent déjà les traits principaux de sa première manière, à Robert Laffont qui le fait paraître en 1952. Gallimard, en 1953, publie Le Renard et la boussole, récit singulier et troublant, enraciné dans un voyage en Israël, qui forme une parenthèse dans son œuvre.
Il voyage en Espagne (1946), en Afrique du Nord, en Yougoslavie en 1948 où il travaille à la construction d’un chemin de fer comme « oudarnik », conducteur de travaux, et en Israël en 1949 où il séjourne dans un kibboutz. Puis avec Graal Flibuste (1956) le roman s’autonomise de plus en plus : après cette parodie de récit de voyage, proche du Voyage dans la Grande Garabagne de Michaux, Pinget revient pour de bon à la dérisoire royauté du moi écrivant inaugurée dans Mahu ou le matériau, et désormais élue comme l’espace de son écriture. Baga (1958) et son équivalent théâtral, Architruc (1961), sotie burlesque et désinvolte variation pascalienne, témoignent de ce repli.
De 1960 et 1961 date une collaboration étroite avec Samuel Beckett, avec lequel il traduira en français Tous ceux qui tombent (1960) et Cendres (1961). Beckett traduit sa pièce radiophonique La Manivelle (1960) sous le titre The Old Tune.
Il se mêle à la vie parisienne, entre Montparnasse et Saint Germain des Prés, et s’entoure d’amis peintres et écrivains. A partir de 1950, Georges Perros ; en 1953, Matias, rencontré au Flore : le scénographe de Beckett réalisera les décors de la plupart de ses créations théâtrales. Ce serait sur sa suggestion que Pinget envoie Mahu ou le matériau à Beckett, lequel en recommande la lecture à Jérôme Lindon. C’est le début d’une amitié entre les deux écrivains et d’une collaboration avec les Editions de minuit : Pinget y publiera tous ses textes suivants, excepté ceux écrits en collaboration avec des artistes plasticiens, dont Jean Deyrolle pour Cette chose (chez Denise René, 1967) et Matias pour Gibelotte (1967, publié en 1994 aux éditions Jean-Michel Place).
Pinget vit entouré d’amis d’origines variées, qu’il fréquente séparément les uns des autres, comme s’il paraissait soucieux de se protéger de ce qui serait de nature à brider son intimité, à faire obstacle au projet de sa vie : ” Toute ma vie a passé dans mes livres “, résume-t-il. Les relations avec Jérôme Lindon, au jugement de qui il s’en remettra toujours avec confiance, dépassent les simples rapports professionnels.